chrysanthèmes
par berlens78 le, 20/11/2018Une partie du jardin était réservée aux chrysanthèmes; la moitié, même. Mon père les vendait à la Toussaint pour gagner un peu d'argent qui payait nos vacances à Berck au mois d'août.
C'était un travail qui s'étalait sur presque toute l'année; avec le repiquage des boutures au printemps, l'arrosage tout l'été. Puis l'inquiétude qui grandissait à l'approche de l'automne et des premières gelées. S'il faisait trop chaud, les chrysanthèmes fleurissaient avant la Toussaint et presque tout était perdu. Et s'il gelait, les fleurs étaient foutues.
C'était toute une science d'amener ces plantes à bon terme. Fin octobre, le soir en rentrant de l'école, j'aidais mon père à protéger les têtes en train de fleurir avec des paquets de cellophane poreux. Et on les retirait le matin avant de partir à l’école.
Quelques jours avant la Toussaint, de plus en plus de gens venaient retenir leurs potées : ils indiquaient le nombre de potées, avec le nombre de têtes souhaitées, la couleur, fleurs doubles ou triples, frisées ou non, avec des grosses têtes ou non, bref, plein de critères. Il n’y avait que des chrysanthèmes ; pas de « pomponettes » à cette époque là, ou très peu. Elles n’avaient pas la noblesse du chrysanthème. Et personne ne les aurait achetées.
Mon père notait les commandes sur son carnet, de sa belle écriture héritée du certificat d’études, en s’appliquant.
Quelques jours avant, il commençait à mettre les chrysanthèmes en pot et à les stocker dans la remise de la cour qu’on appelait le « garage » (pour çà on avait mis les vélos, les outils et la mobylette de mon père dans la cour pour faire de la place).
Puis la veille de la Toussaint, c’était un va et vient incessant dans la maison. Les gens venaient chercher les potées qu’ils avaient retenues et les payaient. La plupart étaient déjà prêtes et attendaient sur des journaux posés sur le balatum du salon, réquisitionné pour l’occasion. Ceux qui n’avaient pas réservé allaient avec mon père les chercher dans le garage ; il faisait noir et ils s’éclairaient avec une lampe de poche.
C’était toute une organisation ; mon père s’occupait des fleurs et ma mère des « clients » qui étaient pour la plupart des voisins du coron et des commerçants de la rue Alfed Leroy : les Chalmain (téléviseurs), les Heinguet (photographes), les Leroy (rideaux), Boucly (pâtisserie), Casteele (boulangerie), Peuvrel (chaussures), Nippert (boucher charcutier) … . La cafetière ne désemplissait pas.
Mon père prenait soin d’en conserver quelques-unes qu’on allait porter à pied avec des grands paniers en plastique au cimetière du 6 (famille de ma mère) à pied la veille de la Toussaint avec mes frères ; et au cimetière de Labuissière (famille de mon père) pour que tout soit impeccable le jour J.
Et le jour J, on s’habillait en dimanche ; mon père vendait les dernières potées aux retardataires. Et on partait le matin en famille aux cimetières visiter les tombes. Il y avait une grande fierté à avoir la plus belle tombe, c'est-à-dire avec les plus grosses têtes et les plus belles variétés, et en grand nombre. Alors chacun en mettait le plus possible. Et s’il en manquait, il y avait toujours la solution d’en acheter aux marchands qui s’alignaient tout au long de la rue.
Souvent on y retournait aussi l’après-midi, et c’était l’occasion d’y rencontrer les cousins et cousines, les oncles et tantes, et les amis. On se promenait des heures dans les allées, jusqu’à ce que la nuit tombe ; et les commentaires sur les sépultures connues ou inconnues allaient bon train.
La Toussaint, c’était vraiment une grande et belle journée. Avec la braderie quelques semaines plus tôt. C’est d’ailleurs souvent à cette occasion qu’on portait pour la première fois le nouveau costume ou le nouveau manteau acheté en solde à la braderie chez Georges Paul ou Marchand frères, le laps de temps entre les deux ayant permis de faire les retouches.
Et souvent, patatras : le gel s’abattait sur les cimetières de Bruay et Labuissière la nuit même ; et c’était un spectacle de désolation de retrouver toutes ces fleurs fripées, jaunies, la tête ballante.
Mais déjà mon père pensait à la prochaine Toussaint.
je peux essayer de transcrire en patois le texte si vous le souhaitez (mais je ne suis pas certain de maîtriser le chti avec autant de talent que certains aficionados du site ...)
par Marie-Claire le, 21/11/2018Ne vous inquiétez pas, votre texte est parfait, il n'y a pas d'obligation d'écrire en ch'ti et merci pour votre contribution