RACONTE-MOI MA FAMILLE N°1 ARRIEU et COSAQUE

“Raconte-moi ma famille...” N° 01 - Récits de famille, racontés par nos anciens.
Par Paul-Frantz VIDAL (famille maternelle à Fouquières-lès-Lens)
"ARRIEU ET COSAQUE"

Pour faire l'histoire d'une famille, la mienne en l'occurrence, il faut partir de deux familles, deux cultures, deux façons d'avoir vécu le passé, ses joies, ses souffrances et ses anecdotes, pour ne faire qu'une moisson de petits souvenirs, de témoignages ou de légendes. Je suis issu de la combinaison de deux familles, l'une maternelle et du nord de la France, plus précisément du Pas-de-Calais, l'autre paternelle et du sud, plus précisément des Hautes-Pyrénées et de la Vallée d'Aure.

Pour le Nord, il est remarquable de constater que cette région qui comprend le Hainaut, l'Artois et s'étend au sud jusqu'à la Somme, est le berceau des Francs, ces mêmes envahisseurs nordiques qui occupèrent le sud de la France et notre vallée des Pyrénées. Il y a donc peut-être quelque chose de commun dans les origines de mes deux familles.

Ma famille maternelle s'appelle DUJARDIN, elle est originaire du Comté d'Artois, donc avec une ascendance germanisante. DUJARDIN est un nom très répandu en Allemagne dans la région de Cologne (C'est aussi la marque du Brandy le plus célèbre d'Allemagne). Mon grand-père était le modèle de ce qu'aurait pu être un guerrier Franc : puissant, la tignasse blonde bouclée, les yeux d'un bleu lumineux à l'éclat métallique et une moustache guerrière "à l'impériale", comme celle de Napoléon III…

Pour créer notre lignée, il a choisi de partager sa vie avec une descendante des envahisseurs espagnols qui ont occupé les Flandres et l'Artois, jusqu'au traité des Pyrénées qui rendit l'Artois à la France. Ma grand-mère maternelle, Marguerite LOYEZ, possédait la morphologie de la parfaite andalouse, grande, mince aux yeux de braise et aux cheveux de jais.

Je fais ici une parenthèse pour signaler que, dans nos régions du Nord et du Pas-de Calais, les patronymes à consonance espagnole sont extrêmement courants. Il n'est qu'à se promener dans les allées des cimetières de villages pour se croire en Castille ou en Andalousie. Certaines coutumes aussi ont été longtemps copiées sur celles pratiquées en Espagne comme le rite funéraire qui consistait à sortir le défunt de la maison le soir de sa mort et à l'exposer sur le perron de sa demeure, entouré de flambeaux. Rite longtemps pratiqué en Andalousie et en Castille du sud.

Tout comme les VIDAL de la vallée d'Aure pouvaient avoir un sobriquet qui leur venait du lieu où se trouvait leur maison, "ARRIEU" (on prononce "a-rié-ou", la maison du ruisseau), les DUJARDIN avaient leur sobriquet, venu des lointaines campagnes de Napoléon, les "COSAQUE".
Oui, car on ne disait pas : "chez Dujardin…", mais "mont dech'Cosaqu'… ". Laissons ma grand-mère maternelle nous dire ce que lui a rapporté sa propre aïeule :

Il faut remonter à l'époque du premier Empire, soit huit générations avant celle de mes petits-enfants. Napoléon 1er envahissait l'Europe et les DUJARDIN vivaient du produit de la terre, paysans de ce qu'on nomme le Pas-de-Calais, près de Lens, où les mines de charbon n'existaient pas encore.
En ces temps-là, le service militaire obligatoire durait sept ans, du moins pour ceux qui n'avaient pas les moyens financiers de racheter leur service ou de payer un volontaire qui n'avait pas été tiré au sort. Louis Joseph DUJARDIN, fils de cultivateur, est donc parti à l'âge de vingt ans faire sa conscription dans la Grande Armée. Il fit toutes les campagnes de Napoléon, jusqu'à celle de Russie, d’où il revint, avec quelques blessures, sept ans après.

Mûri, barbu comme l'étaient les Sapeurs de la Garde Impériale, il "toqua" en pleine nuit à la porte de la ferme familiale. L'époque n'était pas sûre, les rôdeurs de la Grande Armée disloquée s'illustraient souvent par de terribles méfaits dans les fermes isolées.
Son père, notre grand aïeul, ne pensant plus revoir un jour son fils, accueillit le visiteur nocturne avec un fusil. Il s'en fallut de peu que notre lignée ne s'éteigne avant d'avoir existé.
Comprenant sa méprise, le père étreignit ce fils valeureux qui lui revenait vivant et couvert de gloire, comme en attestaient les précieuses médailles qu'il gardait dans son maigre havresac.

Dès le lendemain, la légende commençait dans les "estaminets" (*) du lieu. Il racontait ses campagnes, et ses derniers combats contre les redoutables Cosaques, là-bas dans la lointaine Russie. Il avait tout parcouru à pied, à l'aller comme au retour. Et il n'en fallut pas plus pour qu'on lui donne le sobriquet du "Cosaque". C'est de ce jour-là que ma famille maternelle fut appelée la famille du "Cosaque".

(*) Estaminets : Nom donné aux Cafés dans le Nord et en Belgique.

C'est à cette occasion que ma mémé LOYEZ a commencé d'évoquer ce qu'elle savait de ses ancêtres à elle, descendant des troupes espagnoles, sédentarisés dans les plaines riches du Brabant de l'Artois et du Hainaut.
Mais avant d'autres récits, laissez-moi vous présenter les deux branches de ma famille, les "Cosaque" et les "Arrieu" (vient du gascon "arroyo" qui veut dire ruisseau).

A bientôt… ! Pour un prochain récit !
Ce sont les aventures de ces personnages que j'aurai la joie d'évoquer ici avec vous… J'espère que vous aimerez !