RACONTE-MOI LA FAMILLE N°7 DARTAGNAN la bravoure d'un Ch'ti
par Paul-Frantz le, 06/08/2021“Raconte-moi ma famille...” N° 07 - Récits de famille, racontés par nos anciens.
Par Paul-Frantz VIDAL (famille maternelle à Fouquières-lès-Lens)
"DARTAGNAN, LA BRAVOURE D'UN CH'TI…"
Puis, vint le 28 juillet 1914… Ce jour-là, la France décrète la mobilisation générale, face à la menace allemande. Comme tous les hommes en état de servir leur pays, Dartagnan est mobilisé. Il reçoit l'ordre de rejoindre son corps d'affectation, le 4ème groupe de réserve du 59ème Bataillon de Chasseurs à Pied d'Epernay, pour le 2 août 1914. Le lendemain de son arrivée, l'Allemagne déclare la guerre à la France.
Le 5 Août, les hommes du sergent DUJARDIN partent pour la guerre, dans la plus grande insouciance, comme tous ceux qui croyaient que ce serait une simple formalité. Affecté à la défense mobile de Verdun, le 59ème BCP, devait rester trois ans dans ce qui deviendra un enfer, mais pour y inscrire l'une des pages les plus glorieuses du conflit.
Ils sont donc acheminés dans la Meuse, près d'un village appelé Etain. Là, les troupes françaises font face aux troupes allemandes. La pression allemande est si forte que les divisions françaises reculent.
Dès son arrivée, Dartagnan saura se distinguer pour son courage. Et, une histoire, maintes fois racontée par notre mémé, illustre bien la témérité hors norme de notre grand-père :
Ordre est donné au bataillon des Chasseurs, de tenir la route nationale pour permettre le repli d'une division française. Longeant le ruisseau d'Orne, près d'Ornel, leur progression est arrêtée par une batterie de mitrailleuse ennemie qui les empêche de progresser. Dartagnan décide de tenter de traverser le ruisseau, afin de contourner la batterie et la réduire si possible. Le seul point de passage, est un tronc d'arbre, fauché par un obus, qui fait un pont idéal.
Il propose à ses hommes de l'utiliser pour franchir le ruisseau à pied sec. Seulement, la mitrailleuse allemande, qui se trouve dans l'axe du ruisseau, ne va sûrement pas rester muette. Tous rechignent à s'avancer. Le sergent Dujardin est sûr de lui, le tronc d'arbre est hors d'atteinte des projectiles de la mitrailleuse.
- Tu n'as qu'à y aller toi, si tu es si sûr que ça !
- Si j'y passe, vous passerez aussi ?
- Promis…
Alors, Dartagnan s'avance vers le tronc d'arbre, restant à couvert, il n'est pas encore vu par les servants de la mitrailleuse. Puis, il s'élance. Quelques enjambées rapides, et le voilà près du pont de fortune. Dès qu'il monte dessus, le crépitement régulier de l'arme lourde se fait entendre. Dans le même temps, des petites gerbes d'eau jaillissent à quelques mètres de lui devant le tronc d'arbre. Les balles de la mitrailleuse viennent achever leur course avant d'atteindre leur cible. Rassuré, et euphorique, Dartagnan s'engage sur le fût de l'arbre, et traverse sans difficulté. Poussant sa démonstration, il revient sur l'autre rive, alors que les crépitements se renouvèlent.
Ainsi, rassurés par la bravoure de leur chef, tous s'engagèrent à sa suite et traversèrent.
Ce fut certainement cette assurance, dont il fit preuve, qui donna à sa section une confiance telle qu'ils purent prendre la batterie et progresser sur le flan des lignes adverses.
Le lendemain, ils donnent l'assaut. Près d'un lieu-dit Serves, Dartagnan est touché une première fois au pied droit par un projectile, la blessure n'est pas très grave, il ne renonce pas, malgré la douleur, il exhorte sa section à poursuivre l'assaut. Ils progressent. Malgré une seconde blessure, à la cuisse cette fois, près d'un village nommé "La Chalade", au bord de l'Argonne, il conduit son groupe à la victoire. Il sera élevé le soir même au grade d'Adjudant, le 24 août 1914, et dirigé vers l'arrière pour être hospitalisé à la suite de ses blessures.
Rapportée au plus haut niveau de sa hiérarchie, sa conduite lui valut d'être cité à l'ordre de l'armée avec attribution de la Croix de Guerre avec palme. La citation, publiée le 27 septembre 1914, précisait : "Blessé deux fois, à Serves et à La Chalade, continue à diriger sa section. Très brillante conduite au feu."
Les blessures reçues lors de cet assaut devaient être sérieuses, car il resta plus de six mois dans un hôpital arrière. Durant ce temps, il échappait aussi, peut-être à une part des combats meurtriers du siège de Verdun. Mais il a dû se sentir un peu coupable d'être en sûreté, alors que ses camarades étaient maintenant bloqués dans des tranchées sous le feu incessant de l'ennemi.
Il l'a laissé paraître dans une des rares lettres qu'on lui permis d'envoyer à sa famille pour la rassurer sur son sort. Cette lettre, c'est notre Maman qui l'avait gardée, je ne sais plus où elle est, mais j'ai le souvenir, pour l'avoir lue, de l'émotion qu'elle m'a donnée. La censure militaire lui interdisait de dire où il se trouvait et où il avait combattu. Mais, rappelant tout l'amour qui était le sien pour sa femme et ses trois enfants, il eut soin de dire cette phrase très belle, porteuse d'une moralité un peu oubliée :
" Ma chère Margot, je veux que tu saches que je n'ai pas failli à mon devoir, j'ai accompli ma tâche avec honneur, en bon soldat. Je suis certain que nos enfants, quoi qu'il arrive, pourront être fier de leur père et de son comportement pour la défense de notre patrie…"
Bien sûr, et je le regrette, ce ne sont pas ses mots exacts, mais c'est le sens qu'il donnait à son propos. Peut-être, un jour, cette lettre ressortira. Elle se trouve peut-être dans les quelques affaires laissées par notre Maman, et que mon frère a gardé sans trop les consulter. Que celui ou celle qui la trouvera, la communique à tous, elle est le témoin d'un temps ou les mots Honneur, Devoir, Patrie, pouvaient encore s'associer avec le mot Amour… Car c'est bien une lettre d'amour qu'il a écrit, dans un Français d'une qualité rare, sans une seule faute, amour pour sa femme, pour ses enfants, pour sa patrie.
Sentant revenir ses forces et sa volonté d'action, il demande à retourner au combat. Il quittera l'hôpital le dix-neuf mars 1915, non sans avoir été, deux semaines auparavant, promu au grade d'Adjudant-Chef en reconnaissance de sa détermination, et de ses grandes aptitudes au commandement. Il reçut aussi, pour les mêmes faits, en date du 24 mars 1915, parue au Journal Officiel de la République du 24 avril 1915, la Médaille Militaire. C'est la plus haute distinction pour un soldat (Placée avant la Légion d'Honneur dans l'ordre des décorations) et elle peut être attribuée à un simple soldat comme à un officier général, seul le mérite compte. Dans les rangs des Médaillés Militaires, tous sont égaux.
Sa récente nomination, et peut-être aussi les pertes subies par son ancienne unité pendant sa convalescence, le feront affecter à un autre régiment. Quittant définitivement les chasseurs, dont il n'avait peut-être plus la mobilité, il rejoint alors le 72ème régiment d'Infanterie. Il reste dans la même région, il retourne dans la forêt d'Argonne. Puis ce sera la Champagne et les Eparges. Cette butte, pelée par l'artillerie, est devenue un enjeu stratégique vital pour l'installation de batteries d'artillerie. Les deux camps se sont battus dans la boue et la mitraille. Début avril ce n'est qu'une succession d'attaques et de contre-attaques, se terminant dans des corps à corps sanglants.
Ce fut un des épisodes les plus terribles et meurtriers de la grande guerre. Dartagnan était là, avec ses soldats, toujours devant, les menant au combat avec sa volonté de victoire, et son souci de la vie des siens. Un autre soldat, plus célèbre sans doute, le sous-lieutenant Maurice Genevois, était là lui aussi. C'est de ces combats qu'il tirera les pages sublimes de son chef d'œuvre "Ceux de 14". Il fut élu à l'Académie Française.
Au cours de ces combats, plus de cent mille soldats des deux camps furent tués. Dartagnan en est sorti vivant, couvert de gloire par son comportement exemplaire qui lui valut encore une Croix de Guerre et une seconde palme, et une citation à l'ordre de la Nation, le plus haut niveau. Après huit mois de combats acharnés, dans des conditions que l'on peut encore difficilement imaginer, il est enfin renvoyé vers l'arrière, en décembre 1916, pour un repos bien mérité. C'est ce qu'on appelait l'affectation "Intérieur dépôt".
Il n'y restera qu'un mois, et, le 16 janvier retourne au feu, mais cette fois dans les rangs du 51ème Régiment d'Infanterie, toujours près de Verdun dans le secteur de la Woëvre. Ils feront route ensuite vers la Somme, en appui des troupes engagées dans cette région (Le 51ème était originaire d'Amiens). C'est là que notre grand-père a participé à la célèbre bataille pour le Chemin des Dames (*), autre haut lieu de la boucherie sanguinaire de cette "drôle de guerre", et qui fit plus de cent mille morts en quinze jours. Il combat encore jusqu'en novembre 1916, date à laquelle il est envoyé de nouveau en "intérieur dépôt".
(*) : Le "Chemin des Dames" fut appelé ainsi car, étant à l'origine un sentier qu'empruntaient Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV, il fut empierré pour elles par le propriétaire du château de la Bove, ou elles se rendaient fréquemment. Du nom de l'époque, "Chemin des Dames de France", il n'était resté au vingtième siècle que le "Chemin des Dames".
Au moment de repartir, en janvier 17, il refuse la promotion d'officier qui lui est proposée. En effet, dans des cas exceptionnels, certains sous-officiers méritants pouvaient être nommé sous-lieutenant. Cette promotion était appelée par dérision, "les officiers sac-à-terre". Elle désignait les sous-officiers nommés pour leur conduite au feu, par évocation des sacs de terre qui bordaient les tranchées.
Mais, n'ayant jamais fait d'école d'officier, ils n'étaient pas vraiment acceptés par les autres comme étant des leurs. De même, ils étaient aussitôt en butte à la jalousie et au dédain des autres sous-officiers, comme étant coupables d'une sorte de trahison de leur rôle de chefs des hommes de troupe.
Affecté au 33ème Régiment d'Infanterie, il rejoint la Somme, peu après qu'un autre soldat célèbre eut quitté cette même unité, le lieutenant Charles de Gaulle.
A bientôt… ! Pour d'autres récits !