LA PLUS BELLE ECOLE DU MONDE 2ième partie : La « Grande » école
par berlens78 le, 18/02/2019Après ces deux années de maternelle, c’était l’envol pour la grande école ; celle des garçons. Les filles avaient leur propre école, en tous points identique à celle des garçons, et se situait face à l’entrée de la maternelle ; ce qui ne devait sans doute rien au hasard (probablement pour qu’elles puissent aller rechercher à la maternelle leurs petits frères et petites sœurs).
La grande école des garçons, on y accédait par un large portail à double battant que le maître de service venait ouvrir le matin et l’après-midi. Tous les enfants attendaient devant ce portail, pourtant de faible hauteur, mais que personne n’aurait eu l’idée saugrenue de franchir sans autorisation.
Dès que le maître l’ouvrait, les plus grands s’y engouffraient comme un troupeau de chèvres en courant et brayant à tue-tête ; et la cour, si paisible et silencieuse quelques instants auparavant, se remplissait de bruit et de fureur.
Certains couraient, d’autres complotaient sentencieusement dans un coin du préau ; d’autres s’échangeaient des billes et des trésors inestimables. Le matin nous emportions notre cartable (ou carnasse) ; et l’après-midi, notre mallette, sorte de pochette en tissu à carreaux souvent cousue par nos mamans et fermée en haut par un élastique, qui contenait notre goûter : le plus souvent une tartine beurrée coupée en deux repliée sur elle-même et un carré de chocolat Delespaul Havez. Et parfois aussi un fruit, une pomme ou une mandarine, selon la saison.
Après ces retrouvailles matinales, le directeur lançait son grand coup de sifflet et chacun courait se mettre en rang sous le préau avec sa classe. Les maîtres arrivaient, et se mettaient à la manœuvre. Certains étaient gentils, d’autres criaient et nous faisaient peur ; on était soulagés de ne pas être dans leur classe et on avait un regard de compassion pour nos camarades malchanceux.
Mais les gentils étaient les plus nombreux : Mr Quille, Mr Lejeune, Mr Matusjewski, Mr Beulque… Au coup de sifflet, chaque colonne s’ébranlait en silence (enfin on faisait quand même claquer les semelles cloutées de nos bottines pour faire de l’écho sur les structures métalliques qui résonnaient) en empruntant les pistes cimentées et couvertes qui conduisaient, en serpentant et parfois en se croisant, aux bâtiments d’enseignement.
Ils étaient au nombre de 4 et abritaient 10 classes de CP, CE1, CE2, CM1 et CM2 ; et probablement une classe de rattrapage et une autre pour le certificat d’études. Le directeur, Monsieur GORRÉE, résidait dans une espèce de rotonde en briques de verre, à coté du préau, et tous les chemins menant aux bâtiments y convergeaient.
(voir les 3 photos)
Il y avait 3 classes par bâtiment ; et un long couloir tapissé de portes manteaux sur toute sa longueur, les desservait. Chacun se dévêtait dans le couloir en arrivant. Parfois, on était punis et envoyés dans le couloir (dernier avertissement avant l’envoi chez le directeur). On restait là, tout seul, parmi tous ces manteaux et cache nez immobiles, endormis ; et on écoutait derrière les portes ce qui se passait dans les autres classes ; souvent çà criait fort et on n’aurait pas aimé y être.
On restait seul contre le mur, à contempler au travers des grandes baies vitrées la cour étrangement déserte. On apercevait aussi les classes des autres bâtiments avec tous les élèves sagement assis et on se sentait soudain privilégié d’être là tout seul, savourant ce plaisir coupable d’être oublié de tous, se prenant un instant pour l’un de ces héros de cinéma rebelles et fiers, insaisissables.
En se retournant on pouvait contempler les dizaines de vêtements accrochés aux patères. Ainsi seul à l’abri des regards (enfin sauf celui du Bon Dieu qui nous suivait partout) la tentation aurait pu exister. Mais il y avait un tel interdit sur le vol qu’il ne serait venu à l’idée de personne d’aller fouiller dans les poches. Si on volait, on devenait un voleur et la punition était pire que la peine de mort : d’abord, on perdait définitivement toute chance d’aller au Paradis ; le Bon Dieu nous avait rejetés pour l’éternité. Et pour ce qui restait de notre misérable vie sur cette terre, le mot V O L E U R resterait gravé en lettres de sang au milieu du front pour le restant de nos jours. Autant dire que notre vie était finie.


